Accueil > Recherches > Les axes de recherche > Archives Axes 2013-2017 > Axe 4. Guerre, sociétés et contrôles
L’étude des transformations du contrôle des populations sous l’effet d’un événement aussi exceptionnel que la guerre, ou encore les révolutions, est un domaine où se croisent les recherches de plusieurs chercheurs de l’IHMC et de l’EA 127. En s’appuyant sur le renouvellement historiographique récent des war studies, de celle de la Shoah comme de l’histoire des polices, il s’agit d’étudier comment l’événement guerrier recompose les pratiques de contrôle des populations, entendues dans un sens large, ou en produit de nouvelles. En ce sens, cet axe s’interroge sur les modifications qu’un événement traumatique plus ou moins ample peut entraîner sur un système de contrôle social. Le contexte de la guerre peut ainsi infléchir des formes de contrôle plus anciennes, en en durcissant les formes ou en en modifiant les cibles (ainsi la police des étrangers de la France des années 1930, mise au service de la persécution des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale). Il peut aussi entraîner la production et l’expérimentation de pratiques et d’institutions nouvelles de contrôle, qui s’avèrent durables. En ce sens, il s’agit d’interroger sous un angle nouveau le rôle d’événements exceptionnels comme les guerres dans la transformation des dispositifs sécuritaires et leur généalogie.
Cette question est au cœur du projet de V. DENIS sur la police de Paris entre Révolution et Empire. Il s’agit d’étudier les recompositions de la police parisienne dans cette période intermédiaire, en particulier entre 1792 et 1799, pour comprendre comment s’est transformée et reconstruite une institution fondamentale dans la vie de la capitale, et comment elle participe à l’édification d’un nouvel ordre politique et social, dans un contexte de troubles politiques, de ruptures institutionnelles et de redéfinition du rôle de la police. Alors que l’historiographie a longtemps fait de Napoléon le fondateur du nouvel ordre policier du XIXe siècle, avec la Préfecture de police, ce projet entend montrer le rôle des diverses expériences policières dans la reconstruction de la police depuis la fin de l’Ancien Régime et à travers la décennie révolutionnaire, en portant l’analyse sur les débats autour de la réforme et de la refondation de la police de Paris, la recomposition des différents personnels policiers et les pratiques policières elles-mêmes, à travers l’étude de l’activité des commissaires de police des sections. Le contexte particulier né de la conjonction des bouleversements politiques et de la guerre en arrière-plan pose la question de l’articulation entre les responsables civils du maintien de l’ordre et l’armée dont le rôle est croissant sous le Directoire, comme de la nature des mesures d’exception qui sont prises. Au-delà, le contexte invite à s’interroger sur le poids du contexte guerrier dans les pratiques policières mises en place après le 10 Août 1792, à mesure que la France s’enfonce dans la guerre étrangère et la guerre civile, jusqu’à la recréation de la Préfecture de Police par Bonaparte, héritière paradoxale des troubles révolutionnaires.
Ce chantier personnel s’insère dans un programme collectif soutenu par l’ANR et dirigé par Vincent Denis, intitulé « Systèmes policiers européens (XVIIIe-XIXe siècles) ». Ce projet rassemble une douzaine de chercheurs titulaires et trois autres laboratoires co-porteurs (l’IRHIS, le CRHQ et l’UMR TELEMME). Appuyé sur un réseau de chercheurs européens, il doit débuter en 2013 et articulera des recherches de terrain en Europe et dans le domaine colonial, ainsi qu’une réflexion générale sur la notion de système policier. Il s’agit de comprendre ce qui structure, forme, transforme ou conserve les systèmes policiers, entendus comme des configurations d’acteurs au service de l’ordre dans un espace donné, dans l’Europe des XVIIIe et XIXe siècle et certains de ses prolongements coloniaux (Algérie, Maroc, Hong Kong, Pondichéry). Plusieurs axes du projet croisent plus particulièrement la guerre comme facteur de transformation des systèmes policiers.
Claire Zalc, dans son travail mené avec Nicolas Mariot (CURAPP, Amiens) sur les attitudes et comportements des Juifs lensois pendant la Seconde Guerre mondiale, analyse les mises en œuvre concrètes de chaque étape de la persécution antisémite (identifications, spoliations, interdictions, surveillances, arrestations, déportation et extermination), mais également les réactions des uns et des autres face à ces persécutions. Comment est- on parvenu, en France, à identifier une population dans un but discriminatoire, à partir des critères jusqu’alors considérés comme relevant strictement de la sphère privée ?
Les archives ouvertes récemment sans restriction aux chercheurs permettent de disposer d’une documentation abondante qui retrace les procédures d’identification dont la communauté juive a fait l’objet entre 1940 et 1944 afin de surveiller, discriminer, spolier, arrêter et déporter une grande part de ses membres. L’étude de ces documents permet d’éclairer une question à la fois simple et pourtant mal connue : comment la politique d’identification des juifs a-t-elle été concrètement mise en pratique ? Elle permet d’aborder le problème, controversé dans l’historiographie, des liens entre les pratiques administratives de la France occupée et celles de la Troisième République. Et donc des redéfinitions des modalités d’identification dans le contexte de la guerre. Claire ZALC élargira cette réflexion d’un point de vue comparatiste entre les différents pays d’Europe pendant la Seconde guerre mondiale (Allemagne, Pologne notamment).
La dénazification de l’Allemagne, étudiée par M.-B. VINCENT, s’inscrit aussi dans ce questionnement sur la production de pratiques et d’institutions nouvelles de contrôle social à l’issue de la Seconde Guerre mondiale. Ce phénomène complexe, car variable dans ses modalités (militaires, judiciaires, administratives), son intensité et sa chronologie selon les zones d’occupation, ne se limite cependant pas à l’immédiat après-guerre. Les effets sociaux de l’épuration doivent en effet s’apprécier sur plusieurs décennies, car un certain nombre de mesures ont fait l’objet de retours en arrière ou d’adoucissements après la phase épuratoire la plus sévère. Après 1949, la République fédérale allemande a infléchi par sa législation les décisions antérieures, conduisant de fait à la réintégration de nombreux nazis identifiés comme « peu compromis », notamment dans la fonction publique. Celle-ci est choisie comme terrain d’investigation privilégié, afin d’effectuer une étude des modalités et des conséquences sociales de ces réintégrations. Les fonds ministériels conservés aux archives fédérales allemandes de Coblence permettent de saisir les mécanismes et les difficultés des requalifications professionnelles et sociales après la guerre.
Publié le 26 juillet 2013, mis a jour le samedi 4 avril 2015