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Graphique 1. Pourcentage des décrets de retrait
qui font l’objet d’une demande de révision
Lecture : La taille des points correspond au nombre d’observations du mois considéré. La courbe blanche représente la courbe de tendance obtenue en ajustant par régression locale (LOESS) la variation des proportions de recours dans le temps. La zone grise représente l’intervalle de confiance de cette courbe de tendance.
Source : comptages sur la base DÉNAT. © Pierre Mercklé
On peut remarquer la décroissance, sur la période, de la proportion des retraits qui font l’objet d’un recours. Les contestations sont particulièrement importantes dans l’année 1941, notamment juste après l’adoption de la loi du 22 mars 1941 qui les autorise. Parmi les dénaturalisés du 21 mars 1941, ils sont 292 à faire l’objet d’un recours (ce qui correspond, dans le graphique, à la taille du troisième cercle noir, en partant de la gauche). Les décrets des 6 juin, 11 juin et 14 juin 1941 font l’objet de recours pour plus de 40 %. Parmi les 373 dénaturalisés du 21 juin 1941, 201 déposent un recours gracieux soit 54 %. Puis la part décroit sensiblement à compter d’août 1941, puisque ce sont alors moins de 30 % des décrets qui sont soumis à révision.
Cette proportion reste quasiment stable dans le premier semestre 1942 à l’exception de deux décrets, ceux du 28 février et du 15 mars 1943. Mais ces derniers, qui sont contestés respectivement à 39 et 43 % comptent sensiblement moins d’individus que les décrets précédents : ils dénaturalisent respectivement 178 et 145 personnes dont 87 et 62 qui forment une demande de révision auprès de la Commission.
La rupture est nette à partir d’août 1942 : les retraits sont alors moins fréquemment contestés par les dénaturalisés : 18 % pour ceux datés du 3 août, 13 % pour ceux du 20 août 1942. D’une part, les modalités des recours sont rendues plus difficiles : l’article 2 de la loi du 27 mars 1942 réduit en effet les délais de présentation des requêtes à titre gracieux des décrets de retrait de nationalité. D’autre part, le contexte n’est plus celui de la première année du régime de Vichy. À l’été 1942, les déportations massives des Juifs ont commencé ; l’urgence pour nombre de dénaturalisés est d’échapper aux persécutions, et non à contester les mesures, contestation qui les fragilisent encore plus en les exposant. La chronologie des recours déposés devant la Commission de révision ne peut se lire sans avoir en tête le contexte de l’été 1942. C’est le 27 mars 1942 que le premier convoi de Juifs quitte la France pour une « destination inconnue », emportant avec lui 565 internés de Drancy et 547 autres emprisonnés à Compiègne. Cette date signe l’entrée dans un nouveau temps de la politique antisémite dans la France occupée. Il est obligatoire à compter du 7 juin de porter l’étoile jaune pour tous les Juifs de plus de 6 ans. Le plan de déportation qui vise à répondre aux objectifs chiffrés fixés pour la France, la Belgique et la Hollande par les services d’Eichmann est lancé en juin 1942. Dès lors, les arrestations et les rafles se succèdent, plus massives et plus rapprochées, pour culminer dans la nuit du 16 au 17 juillet 1942, avec la rafle du Vel d’Hiv qui touche près de 13 000 personnes en région parisienne.
La dénaturalisation prend alors une toute autre signification. Les arrestations, les rafles sont autant d’incitations à craindre, avoir peur, fuir. À mesure que les menaces se font plus proches, la contestation légale perd de son sens. Aussi, l’étalement des recours n’est_il pas régulier ; il épouse les scansions juridiques et policières des discriminations et arrestations qui visent les Juifs durant la période. Mais pas seulement : les rythmes des recours correspondent aussi aux pratiques de la Commission.
L’infléchissement de la courbe laisse apercevoir l’intériorisation, par les dénaturalisés, de l’issue de ces contestations qui se heurtent, pour l’immense majorité des cas, à des refus. Si le pourcentage de recours gracieux est relativement important, dans la première année de fonctionnement de la commission, la Commission de révision des naturalisations ne revient que rarement sur ses décisions prises en première instance : 7,5 % des recours seulement aboutissent à un décret qui rapporte le retrait de nationalité. Dans 92,5 % des cas, la Commission confirme son avis ! Et cette proportion évolue également sur la période.
Parmi les dénaturalisés des premiers décrets, les contestations couronnées de succès sont sensiblement plus nombreuses : 22 % des recours gracieux déposés par des dénaturalisés du 1er novembre 1940, 13,5 % de ceux du 12 mars 1941 et 15 % de ceux du 26 mars 1941 obtiennent finalement un avis de maintien dans la nationalité. Puis ce pourcentage chute sous la barre des 10 % : 17 des 271 demandes de révision des décrets du 6 juin 1941 trouvent une issue favorable, 4 des 146 pour le 14 juin soit moins de 3 %. Parmi les retraits du 15 juillet 1941 contestés, aucun n’est rapporté.
Par la suite, deux moments se distinguent légèrement : le début de l’année 1942 tout d’abord, avec notamment les décrets du 28 février 1942, 15 mars et 20 mars qui, lorsqu’ils sont contestés, font l’objet d’une clémence, toute relative, de la Commission : plus de 10 % des recours aboutissent en effet à une annulation de la décision. On retrouve ici les effets des mesures de l’été 1942 non plus sur les dénaturalisés, mais sur les membres de la Commission dont les pratiques semblent modifiées par le contexte. En effet, comme on l’a dit, les requêtes sont déposées dans les trois mois qui suivent les décrets. Les examens des demandes de révision des décrets sont donc menés, dans le cas des décrets de février-mars 1942, au cours de l’été ou à l’automne 1942. Or, comme on l’a déjà vu plus haut à propos du rythme des décrets, suspendus entre mars et août 1942, les pratiques des membres de la Commission de révision sont infléchies à cette période, marquant une hésitation à continuer leur besogne en observant les conséquences possibles des dénaturalisations. Ensuite, les décrets contestés de la fin du printemps 1943 rencontrent également une clémence relative de la Commission même si la diminution de leur nombre rend ce constat plus fragile : 15 recours rapportés sur 114 au total. Il s’agit bien entendu d’une conséquence des pressions sur la Commission de révision des naturalisations qui s’accentuent courant 1943.
Publié le 12 juillet 2022, mis a jour le jeudi 22 septembre 2022
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