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Cette page présente le passage consacré à Moraene Roberts, et diffusé à titre posthume, de la vidéo « La dignité de donner », à l’occasion de la conférence « Invisibilisation des femmes pauvres : hier, aujourd’hui et… demain ? » organisé par le groupe Panthéon-Sorbonne ATD Quart Monde (28 avril 2020).
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Ce n’est pas d’avoir faim, de ne pas savoir lire, ce n’est même pas d’être sans travail qui est le pire malheur de l’être humain. Le pire des malheurs est de vous savoir compté pour nul, au point où même vos souffrances sont ignorées.
Joseph Wresinski, fondateur d’ATD Quart Monde
La pauvreté dans le contexte de la Grande-Bretagne.
Bonjour, je m’appelle Moraene Roberts je suis une militante ATD Quart Monde, je vous remercie de m’avoir invitée à cette conférence.
Il est très important d’affirmer que la pauvreté est un acte de violence contre les pauvres. Beaucoup de personnes ne l’acceptent pas, ne la considèrent pas comme telle.
Pourtant, lorsque le droit d’une personne à mener une vie normale est bafoué, une violation est commise et cela crée un cycle de violence dans lequel vit cette personne.
On ne lui reconnaît aucune valeur et c’est une violation de ses droits fondamentaux.
Cette personne n’a pas l’impression d’être humaine, elle pense qu’elle ne vaut rien et cela crée en elle un sentiment de colère qui peut s’exprimer dans son rapport aux autres ou elle-même, dans son comportement vis-à-vis du système dans lequel elle évolue.
Cela se retourne souvent contre elle et on peut entendre « vous voyez ces gens sont dangereux, ils ne sont pas comme nous » et le cycle de colère, de fureur et de rejet des pauvres recommence.
La plupart des idées reçues qui circulent sur les pauvres sur ce qu’ils font, sur leur manière de vivre résultent de cette réaction de rejet.
La seule façon de découvrir qu’ils sont réellement au-delà de l’image véhiculée dans les journaux et à la télévision est d’aller à leur rencontre et de leur parler.
Il est très important que les personnes qui vivent dans la pauvreté aient la possibilité de montrer le meilleur d’elles-mêmes de montrer ce dont elles sont capables et la contribution qu’elles peuvent apporter, sinon l’image que l’on véhicule d’elles est toujours négative et les propos tenus à leur sujet entretiennent le mythe qu’elles ne sont pas des êtres humains à part entière.
Quand on donne aux gens la possibilité de montrer le meilleur d’eux-mêmes, ils évoluent, ils progressent et ils révèlent les talents qu’ils recèlent.
Ils saisissent les occasions qui leur sont données d’acquérir de nouvelles compétences et cela leur redonne un sentiment de dignité qu’ils n’auraient pas eu autrement.
Souvent, quand on envisage la façon dont les gens sont traités, on peut entendre dire « nous savons que ces gens vivent dans la pauvreté, nous savons qu’ils sont en proie à des difficultés et qu’il luttent mais nous pouvons y remédier ». Cependant, lorsqu’on conçoit des solutions sans consultation directe des personnes qui souffrent, elles sont en général vouées à l’échec.
Elles engendrent souvent de lourdes dépenses et, bien que l’intention de départ soit d’aider les gens, le résultat final revient souvent à les opprimer, car tous les moyens mis en œuvre pour les aider s’accompagnent de conditions : « Vous devez être à tel endroit, à tel moment, vous comporter de telle manière, vous présenter de telle façon, vous exprimer de telle façon. » Bref, des conditions souvent impossibles à remplir lorsque vous avez toujours connu la pauvreté
Ensuite les gens, les organisations, le gouvernement et autres diront : « Vous voyez bien qu’ils ont refusé tout ce qu’on leur a proposé. Ils sont responsables de la pauvreté dans laquelle qu’il vivent. » Et cela entretient encore le préjugé selon lequel les personnes dans la misère ont des attentes et des intérêts moins élevés que les autres, qu’elles manquent d’ambition, n’aspirent à rien et se contentent de recevoir la charité de l’État.
C’est loin d’être le cas ! Posez leur la question et elles vous répondront : « Nous ne vivons pas, nous existons. Plus qu’une vie pour moi, ce que je souhaite, c’est le meilleur pour mes enfants. » Tous les parents souhaitent que leurs enfants réussissent. Les familles aisées désirent une meilleure qualité, de meilleurs lieux, une meilleure expérience.
La plupart des parents qui vivent dans la pauvreté recherchent pour leurs enfants une meilleure éducation, de meilleures perspectives d’emploi, une meilleure chance de prouver ce dont ils sont capables. Mais on le leur refuse, encore et toujours. Un commentaire cruel formulé à l’égard des personnes qui vivent dans la pauvreté est qu’elles prennent de l’État et des œuvres caritatives sans jamais rien donner en retour.
C’est un mensonge éhonté ! En effet, qui surveille les enfants dans les communautés défavorisées ? Qui nourrit ceux qui ont faim et qui n’ont pas le sou ? Qui prend = soin des malades lorsque l’État ne le fait pas ou ne le peut pas ?
En général ce sont d’autres personnes dans la misère. Cela fait vingt ans que ma fille s’occupe de moi et on lui demande : « Pourquoi tu ne cherches pas un vrai travail, un emploi à plein-temps ? » Ils considèrent que ce qu’elle fait pour moi n’a aucune valeur. Pourtant, sans elle, je ne pourrais pas vivre de façon autonome, je serais incapable de me déplacer, je ne pourrais rien faire. Je serais entièrement dépendante de l’État et on dirait alors : « Voyons, elle devrait s’occuper de sa mère. »
Peu importe ce que vous faites, vous êtes toujours perdant.
Je peux vous donner un autre exemple tout simple. Alors que je recevais une allocation qui n’était pas du tout liée au travail, on m’a annoncé que je devais arrêter de travailler comme bénévole, sinon je recevrais une allocation moins élevée, tandis que, si j’abandonnais le volontariat je recevrais quarante livres sterling supplémentaires par semaine. C’est une somme importante pour quelqu’un qui a tout juste de quoi vivre.
Mais, en contrepartie je perdais ma liberté, je faisais fi de mon droit à m’engager, j’abandonnais ce qui m’apportait fierté et dignité, je devais rester cloîtrée chez moi. J’aurais plus d’argent, mais ma vie aurait moins de sens. C’est un dilemme auquel de nombreuses personnes qui vivent dans la pauvreté sont confrontées, même quand elles essaient de se rendre utiles.
Si une personne qui reçoit des allocations déclare que son voisin, une personne âgée, a besoin d’aide pour réparer une armoire ou qu’une pauvre mère épuisée a besoin d’une baby-sitter pour pouvoir sortir ou tout simplement pour pouvoir profiter d’un bain dans le calme, si cette personne apporte cette aide et qu’on la dénonce, on va tout de suite présumer qu’elle a été payée pour ce service et qu’elle escroque donc l’État. Cela est immédiatement signalé, ses allocations sont coupées et, tant que l’enquête est en cours, elle ne recevra plus rien.
À l’inverse lorsqu’une grosse entreprise ou une organisation gouvernementale escroque la société, il y a peu de répercussion. Lorsqu’une entreprise britannique décide de délocaliser dans un pays où elle pourra davantage exploiter ses travailleurs, les payer moins et les traiter moins bien, cela n’a pas de retombées. On considère qu’elle répond à la demande du marché. On accepte que, selon les lois du marché, elle ait le droit de maltraiter ses employés, peu importe que cela frôle l’illégalité.
En revanche, lorsque vous touchez des allocations, le moindre petit écart, la moindre tentative d’aider autrui, et vous êtes pénalisé. Vous pouvez finir en prison ou encore être privé de toute aide financière, vous vous retrouvez à la rue et vous devez déménager loin de tous vos amis et connaissances.
Fin de la partie diffusée lors de la conférence du 28 avril, à 10 mn 42 s de la vidéo originale.
Publié le 2 décembre 2020, mis a jour le vendredi 4 novembre 2022
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