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L’historienne Chloé Maurel, chercheuse associée à l’IHMC et spécialiste des Nations unies, a lancé un cycle de conférences-débats sur l’ONU à l’École normale supérieure. La première de ces conférences a eu lieu en novembre 2015. Ces conférences ont attiré un public croissant, répondant à une demande, car il y a un déficit d’information sur l’ONU dans la société actuelle.
Le 17 novembre 2016, s’est tenue la 4e de ces conférences-débats sur l’ONU, à l’École normale supérieure, en partenariat avec la revue Recherches internationales, la fondation Gabriel Péri et l’IRIS. Consacrée à la question « Quelle ONU pour demain : comment améliorer l’ONU ? », elle a été présentée par Michel Rogalski, directeur de la revue Recherches internationales.
Devant un public nombreux et intéressé, quatre intervenants ont pris la parole : Nils Andersson éditeur et analyste politique, auteur de Une autre ONU pour un autre monde (Tribord, 2010), Chloé Maurel, docteure en histoire, spécialiste des Nations Unies, auteur de Histoire des idées des Nations unies (L’Harmattan, 2015), Anne-Cécile Robert, journaliste au Monde diplomatique, co-auteur de L’ONU dans le nouveau désordre mondial (éditions de l’Atelier, 2015), et Jean Ziegler, sociologue et vice-président du Comité consultatif du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, auteur de Chemins d’espérance (Seuil, 2016).
Une présentation plus longue des quatre interventions est disponible après la série de vidéos.
Michel Rogalski : Introduction de la conférence débat
Michel Rogalski, directeur de la revue Recherches internationales, introduit et présente la conférence.
Nils Andersson : « L’ONU et le recours à la force armée »
Nils Andersson, éditeur et essayiste, pointe les injustices massacres en cours dans le monde et souligne l’utilité d’une ONU forte et efficace pour résoudre ces problèmes.
Chloé Maurel : « Cette institution, en grave crise, est réformable »
Chloé Maurel, historienne et chercheuse associée à l’IHMC et à l’IRIS, souligne que l’ONU est l’institution internationale la plus démocratique et la plus universelle et qu’il faut la soutenir et la renforcer pour qu’elle puisse mener sa mission de paix et de progrès social dans le monde.
Anne-Cécile Robert : « Rôle et efficacité de l’ONU »
Anne-Cécile Robert, journaliste au Monde diplomatique, défend le droit de veto à l’ONU, estimant qu’il n’est pas la cause des difficultés et de la fréquente paralysie de cette institution.
Jean Ziegler : « L’ONU est paralysée »
Jean Ziegler, sociologue suisse, affirme que l’ONU traverse une grave crise et qu’elle est court-circuitée par d’autres instances. Il souligne les situations scandaleuses dans le monde (guerre civile en Syrie, famine en Afrique...) et appelle à un sursaut international.
Échanges avec le public
Échanges entre les intervenants et le public de la conférence.
(article paru dans Le Quotidien d’Oran le 8 décembre 2016 et reprenant l’intervention faite lors de la conférence-débat)
Au titre du chapitre VII de la Charte des Nations unies, le Conseil de sécurité a mandat, si toutes les mesures prises sont sans résultat, « de recourir à la force armée pour maintenir la paix et la sécurité internationales ». Je voudrais aborder cette mission de l’ONU dans un moment où dans le monde l’alarme militaire est aussi grande que l’alarme écologique.
Elle l’est en raison des guerres dont le Proche-Orient et l’Afrique sont l’épicentre, de conflits larvés entre puissances globales ou des ambitions de puissances régionales, de déchirements démographiques ou climatiques, de crises politiques, sociales, confessionnelles sur tous les continents, cela dans un monde surarmé que ce soit à des fins de défense ou de répression. Par rapport à 1991, année où Georg Bush père proclame un Nouvel Ordre Mondial de paix dans lequel l’ONU sera pleinement en mesure de remplir sa mission, en 2014, les dépenses d’armement sont plus importantes de 13 % en Europe, de 30 % dans les Amériques, de 65 % en Océanie et dans le Pacifique, de quasi 100 % au Moyen-Orient, elles ont presque triplé en Asie et plus que triplé en Afrique, surarmement dont l’Europe est l’un des principaux pourvoyeurs. Une militarisation porteuse de guerres.
Les dispositions pour que l’ONU remplisse sa mission pour la paix, sont fixées dans la Charte : les États membres s’engagent à mettre à disposition des forces armées. Les plans militaires sont établis par le Conseil de sécurité avec l’aide du « Comité d’état-major » qui a la responsabilité « de l’emploi et du commandement des forces mises à sa disposition. Passons sur le fantomatique Comité d’État-major, qui se réunit tous les quinze jours pour décider de la date de sa prochaine réunion, mais qui n’a jamais joué son rôle. Le mandat de maintenir la paix et la sécurité internationales revient aux cinq membres permanents du Conseil de sécurité, qui représentent un état du monde au sortir de la Seconde Guerre mondiale, mais nullement celui d’aujourd’hui.
Le nouveau Secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres aura pour défi de rendre l’ONU plus efficace et démocratique :
Pour que l’ONU parvienne vraiment à faire régner la paix dans le monde, il faudrait que le système de sécurité collective qui avait été pensé par les pères fondateurs de l’ONU en 1945, et qui est exprimé dans le chapitre VII de la Charte de l’ONU, à savoir que l’ONU puisse déployer de véritables forces militaires en cas de menaces contre la paix, et pas seulement des casques bleus dépourvus du droit d’intervenir vraiment dans les affrontements, voie enfin le jour. Cela permettrait à l’ONU de se réaffirmer par rapport à l’OTAN, organisation dominée par les États-Unis qui tend de plus en plus à se présenter comme l’agence la plus à même de régler les conflits dans le monde. Or, l’ONU, organisation universelle, est bien plus légitime que l’OTAN pour intervenir dans les conflits. En Syrie comme ailleurs, c’est l’ONU qui doit intervenir et non pas telle ou telle grande puissance de manière unilatérale.
Loin d’être devenue obsolète ou inutile aujourd’hui, l’ONU a un rôle majeur à jouer au XXIe siècle, car avec la mondialisation, beaucoup de problèmes sont devenus transnationaux, ils transcendent les frontières étatiques : le problème des conflits, car aujourd’hui le conflit en Syrie a des répercussions sur les autres pays (pensons aux attentats en Europe), mais aussi le problème des inégalités dans le monde, qui s’accroissent de plus en plus, et que l’ONU pourrait s’attacher à réduire, ou encore le problème de la finance, que l’ONU pourrait s’employer à réglementer, le problème de l’évasion fiscale, que l’ONU pourrait interdire, le problème de la mafia, le problème de l’environnement, etc.
Loin de perdre confiance en l’ONU à cause de ses défauts et de sa fréquente inefficacité, il faut soutenir l’ONU, la faire mieux connaître du public, et l’aider à s’améliorer, car c’est l’organisation internationale la plus démocratique : en effet, avec son Assemblée générale où quasiment chaque État du monde est représenté (193 États membres), elle est l’instance la plus universelle, bien plus que l’OCDE par exemple qui ne rassemble que 35 pays, parmi les plus riches du monde, ou que le G7, G8, G20 qui ne sont que des clubs de pays riches. L’ONU, avec son système « 1 État = 1 voix » (à l’Assemblée générale) est également plus démocratique que des organisations comme le FMI qui ont un système de vote pondéré, c’est-à-dire où ce sont les pays les plus riches qui disposent de davantage de voix.
Ces institutions financières internationales : Banque mondiale, Organisation mondiale du commerce et FMI, devraient d’ailleurs être placées sous la direction effective de l’ONU. Ainsi, l’ONU pourrait agir de manière juste et efficace pour réduire les inégalités dans le monde, en interdisant l’évasion fiscale, en contrôlant la finance.
La création de l’ONU en 1945 était la victoire de l’esprit pacifiste, l’affirmation du multilatéralisme, belle idée progressiste. Il faut maintenir cet idéal multilatéraliste face aux velléités d’unilatéralisme. Il faut garder l’optimisme et l’espoir en l’ONU. Cette institution, actuellement en grave crise, est réformable et peut être améliorée.
Le débat sur le rôle et l’efficacité de l’ONU est aussi ancien que l’ONU elle-même. Il se pose aujourd’hui dans un contexte très particulier, caractérisé à la fois par une recomposition géopolitique de grande ampleur et une crise du droit international issu de la charte de l’ONU. La crise des réfugiés montre, par exemple, que les membres permanents du Conseil de sécurité peuvent violer les obligations qu’ils ont contractées au nom du droit international humanitaire. L’Union européenne qui est supposée être la championne de l’Etat de droit accepte sur son sol des régressions politiques et juridiques considérables qui nous ramènent parfois à 1945.
Le monde traverse donc une période dangereuse : les rapports de forces entre puissances sont incertains ; les valeurs fondamentales sont remises en cause au profit de lutte d’influences parfois cyniques, souvent brutales comme en Syrie. C’est ici qu’une fois de plus l’ONU prend toute son importance : elle est le seul forum capable de réunir tous les acteurs de scènes mondiale et le seul lieu où peut se construire un monde de valeurs communes assises sur les droits de l’homme et les libertés fondamentales. Il n’est d’ailleurs pas étonnant que, depuis quelques années, les grandes puissances préfèrent créer des lieux de rencontres en marge de l’ONU (par exemple le G20) : elles cherchent à échapper aux exigences de la charte de l’ONU pour maintenir ou renégocier leur place dans le monde. Il appartient donc aux citoyens de progrès de se mobiliser pour défendre et promouvoir l’ONU.
L’Onu est souvent critiquée pour son manque d’efficacité, notamment en cas de guerre ou de crimes contre l’humanité. Certains proposent alors de modifier son organisation, et de, par exemple, supprimer le droit de veto. S’il est évidemment que le veto empêche de prendre certaines décisions cruciales, n’oublions pas qu’il a aussi sauver l’ONU du désohonneur : en 2003, c’est la menace du veto de la France qui a privé les Etats-Unis du soutien international dans leur attaque, par ailleurs stupide, contre l’Irak. Les choses ne sont donc pas aussi simples qu’il y paraît. La question de l’efficacité de l’ONU est, selon moi, moins une question de procédure qu’une question politique. Le vrai problème de l’ONU aujourd’hui tient au fait que les membres du Conseil de sécurité ne s’entendent plus. Pire, ils ont perdu l’habitude de discuter ensemble pour trouver des chemins d’entente sur les grandes crises internationales. Cela tient en partie à l’arrogance des Etats-Unis, et parfois des Européens, vis-à-vis de la Russie depuis la chute du mur de Berlin. Washington, Londres et Paris se montrent dominateurs et donneurs de leçons, parfois manipulateurs comme en 2011 lors de la guerre contre la Libye. Moscou et Pekin estiment avoir été bernés par une opération qui a abouti à un résultat illégal : le renversement d’un gouvernement. Quelle que soit la nature, détestable du régime de Vladimir Poutine, on ne peut faire comme si la Russie n’était pas une grande puissance avec laquelle il faut compter (cela s’adresse particulièrement aux Européens).
C’est sur cette question politique qu’il faut travailler. Retrouver un espace de dialogue et un accord sur les grands principes constitue la clé des crises internationales et le moyen de remettre l’Onu au cœur du jeu mondial. Prenons l’exemple de la Syrie : comment se fait-il, alors que nous sommes tous d’accord pour faire la guerre à Daesh, que le Conseil de sécurité ne parvienne pas à s’entendre pour organiser une coalition ? N’est-ce pas le signe d’un manque de dialogue et, malheureusement, de visions très optues, de la part de certains pays comme la France. La diplomatie française, depuis Alain Juppé et Laurent Fabius, se révèle très néo-conservatrice, conduisant bêtement le monde à des impasses.
Nous traversons donc une crise de civilisation qui appelle les citoyens à se mobiliser pour rétablir les valeurs du droit international humanitaire, du multilatéralisme, de la négociation, du droit contre la force. In fine, ce sont les valeurs de la paix qu’il faut remettre en avant alors que les classes dirigeantes se délectent de plus en plus du recours à la guerre, en Afrique ou au Proche-Orient.
Nous sommes face à une grave crise de l’ONU, les Nations unies sont en pleine déréliction. Ce qui se passe en Syrie est une boucherie effroyable. Face à cette situation, l’ONU est paralysée, on en est au huitième veto russe sur la question. Il faudrait supprimer le veto pour sortir de ce blocage !
Ailleurs aussi, la situation est grave : au Soudan, un dictateur massacre des peuples. La Chine empêche une intervention de l’ONU car le pétrole chinois vient en grande partie du Soudan. En Palestine également, le veto américain empêche toute action de l’ONU.
Aux États-Unis, depuis l’élection de Donald Trump, on sait que le prochain gouvernement américain sera très anti-ONU : John Bolton, qui risque de devenir le prochain Secrétaire d’État américain, a demandé l’abolition du Conseil des droits de l’homme de l’ONU ! L’ONU risque même de disparaître, car les États-Unis de Trump refuseront peut-être de verser leur contribution financière...
Déjà, sous George W. Bush, les États-Unis s’étaient retirés de la Convention de l’ONU contre la torture. Les États-Unis ne cessent d’affaiblir l’ONU par leur manque de coopération.
De plus, les États-Unis contrôlent tous les recrutements aux hauts postes aux Nations unies, au moyen de la CIA. Cela aboutit à une colonisation complète de la bureaucratie onusienne par les États-Unis.
En 2006, en quittant son poste de Secrétaire général, Kofi Annan a déposé son testament, son projet de réforme, il a proposé qu’on supprime le veto en cas de crimes de masse, et il a suggéré une meilleure répartition et un meilleur système de roulement des États membres au Conseil de sécurité. Ce sont de bonnes idées, qui n’ont pas vu le jour alors, mais qui refont surface aujourd’hui, qui sont en train d’être réexaminées à présent.
L’élection de Guterres est un pur miracle, c’est une très bonne nouvelle. Ce catholique de gauche est un homme généreux et humaniste. La Russie avait dit qu’elle mettrait son veto contre tout candidat venant d’un pays membre de l’OTAN, or le Portugal est membre de l’OTAN, mais finalement la Russie a entériné l’élection de Guterres (peut-être en échange d’un accord secret prévoyant qu’un Russe dirigera de département des opérations de maintien de la paix, poste clé). Guterres va certainement reprendre les projets de réforme de Kofi Annan, renforcer le Conseil des droits de l’homme.
Guterres est un homme bon qui est allé volontairement enseigner aux enfants de migrants dans les bidonvilles, et qui a dirigé pendant dix ans, de 2005 à 2015, le Haut-commissariat aux droits de l’homme de l’ONU. Il va faire cesser la mainmise des États-Unis sur les recrutements à l’ONU.
L’ONU a une tâche immense à accomplir : lutter pour la paix et contre les inégalités sociales. Toutes les 5 secondes, un enfant meurt de faim, alors que la planète est capable de nourrir toute la population mondiale...
Publié le 29 juin 2017, mis a jour le mardi 12 décembre 2017
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